Δ Issue d'un milieu modeste, Arachné vit le jour à Colophon, une cité isolée de Lydie, située à quelques encablures seulement du grand port de commerce d'Ephèse. Malheureusement, ce qui aurait dû être vécu comme un instant béni des Dieux, se transforma bien vite en tragédie, lorsque sa mère Illyria trouva la mort suite à l'enfantement. Aucune prière au Dieu Asclépios n'endigua l'hémorragie, ni ne réussit à réfréner les larmes de son père, Idmon. Ce dernier venait de perdre son épouse, ainsi que son projet de pouvoir léguer son échoppe de teinturier de pourpre à un héritier de sexe masculin. Le jour même de sa venue au monde, l'innocente Arachné apparaissait déjà comme l'instrument d'une sombre malédiction...

Plutôt que de sombrer dans la culpabilité, la petite fille s'efforça de se rendre utile afin de combler le vide immense laissé par sa défunte mère. Dès qu'elle fut en âge d'accomplir les tâches ménagères, elle se comporta en véritable maitresse de maison. De plus, son père lui apprit très jeune à filer la laine, et à manier les aiguilles, dans l'espoir d'obtenir une aide salvatrice et gratuite au sein de son atelier ; Ses petits doigts faisant déjà des merveilles, de nombreux habitants de Colophon vinrent admirer ses étoffes, et son don si précoce dans l'art du tissage. Le Dieu Apollon semblait guider ses gestes, tant son travail tenait plus de l'œuvre d'art que de la simple broderie. Le nom de la petite tisseuse de Colophon commença à être célèbre au-delà de la Mer d'Egée, et les foules s'amassèrent au marché d'Ephèse ou devant le seuil de la teinturerie pour s'arracher une simple étoffe.

Grâce à sa fille, les activités d'Idmon ne faisaient que prospérer, au point de devenir l'un des plus riches marchands de Lydie et d’Ionie. Croulant sous les oboles, le père ne tarissait plus d'éloge pour sa fille unique, qui devenait le centre de toutes ses attentions. Arachné se nourrissaient avec une telle avidité de ses compliments paternel, qu'elle franchit bien vite les frontières de la vanité et de l'orgueil. Il faut dire que si Hadès lui avait enlevé sa mère, Aphrodite s'était penchée également sur son berceau, afin de lui octroyer une beauté susceptible de briser bien des cœurs d'hommes. Alors que son corps d'enfant se transformait en femme, Arachné saisit rapidement toute l'étendue de son pouvoir de séduction. Son regard de braise, sa longue crinière brune, son petit nez si finement retroussé, son teint de peau hâlé, ses lèvres pulpeuses, ses jambes interminables ou ses seins si généreusement rebondis : Tout cela ne pouvait que contraindre les hommes à la tentation, et alimenter l'égo narcissique de la tisseuse.    

Devenue l'héritière d'une immense fortune, et ses charmes attisant la convoitise de nombreux prétendants; Arachné s'illustra très vite pour sa grande vanité. En âge de se marier, elle invita à venir auprès d'elle, tout homme se pensant en mesure de pouvoir la séduire. Une file ininterrompue de séducteurs s'agglutina alors sur le porche de la riche demeure d'Arachné. Un par un, il franchissait le seuil avec espoir, avant d'en ressortir le visage tiré par la déception d'avoir été éconduit. Aussi prétentieuse que cruelle dans ses propos, Arachné ne faisait que balayer les attentes de ses prétendants, à l'instar de misérables insectes voulant s'agripper à la course du char d'Hélios. Aucun homme ne pouvait rivaliser avec sa beauté, si ce n'est peut-être ce jeune esclave de son père qui ne daignait lui accorder aucun regard et qui répondait au doux nom de Phalanx.

Arachné avait beau se pavaner devant le jeune esclave, en abusant d'attitudes lascives et de moues aguicheuses : Aucune de ses minauderies ne fonctionnait! Préférait-il la compagnie des hommes? Comment pouvait-il résister aux avances de la plus riche héritière de Colophon? Lui l'esclave miséreux, dont la famille vivait dans la crasse la plus répugnante! Pourquoi ignorait-il sa beauté? Autant de questions qui exaspéraient la jeune lydienne qui ne tarda pas à tisser l'un des plus odieux chantages qui soit! Arachné indiqua à Phalanx que s'il persistait à ignorer ses charmes; Elle finirait, tôt ou tard, par convaincre son père de le congédier et de l'expulser loin de ses terres natales. Un vil procédé auquel le jeune homme ne pouvait malheureusement se soustraire...

Invitant pour la première fois un homme à venir la déflorer; Arachné ne s'attendait pas à l'immense coup de théâtre que lui réservait cette nuit torride. Se sacrifiant pour n'avoir point à subir les humeurs rancunières de la jeune femme, Phalanx exécuta sa triste besogne, peinant à dissimuler le dégout que lui inspirait cet acte contre nature. Tandis que sa bouche immense ne pouvait plus contenir ses gémissements de plaisir, Arachné eut la désagréable surprise de voir apparaître la Déesse Athéna en personne! Le visage grave de la divinité ne faisait aucun doute : Elle était là pour rendre justice! Le visage du jeune esclave blêmit, alors qu'il implorait la clémence de la Déesse. Mais aucune compassion ne retint la décision d'Athéna qui changea en serpent le pauvre Phalanx. Dans l'incompréhension la plus totale, Arachné contempla avec stupeur la couleuvre glissée sur sa cuisse pour s'enfuir. La déesse de la Justice daigna alors lui expliquer son crime, et le châtiment qui incombait à sa personne...

Sans le savoir, Arachné venait de commettre un acte ignoble en s'adonnant au plaisir de la chair avec Phalanx qui n'était autre que son demi-frère caché. Trahissant ses vœux de mariage, son père Idmon lui avait également dissimulé ses frasques avec l'actuelle servante et ancienne maitresse, répondant au nom de Mopatys. Phalanx était le fruit de cette liaison adultérine, et détenait la vérité de par sa mère, ceci justifiant le châtiment que lui avait imposé la Déesse de la Justice. Folle de rage et de désespoir, Arachné prêcha son innocence et implora la clémence d'Athéna. Pour se laver du pêché et sauver son âme des flammes de l'Enfer, la Divinité lui soumit alors un code de conduite intangible reposant sur des directives d'une extrême cruauté : En premier lieu, elle devait répudier et bannir son père de son entourage - Ensuite, elle ne devait établir aucune liaison amoureuse avec autrui, afin de finir ses jours comme une vieille fille desséchée - Enfin, elle devait vénérer Athéna, comme sa Déesse tutélaire, et ce jusqu'à son dernier souffle de vie.  

Si les années qui suivirent cette malédiction, Arachné répondit à la lettre aux deux premiers préceptes de la déesse à la chouette; Sa vanité quelque peu écorchée, elle ne tarda pas à contourner la dernière règle, et de n'éprouver qu'une violente rancœur à l'égard d'Athéna et de l'injustice dont elle était la victime. Confortablement installée à Ephèse, Arachné noya sa détresse dans son don pour le tissage; Très vite, son activité devint si prospère que les élites de la Grèce antique s'arrachaient ses étoffes. Aussi opiniâtre que revancharde, elle éleva à un tel niveau de qualité son art de la tapisserie, qu'un marchand de passage lui érigea un compliment divin sous forme d'une question; L'homme lui demanda si elle était l'élève de la Déesse Athéna en personne, tant sa faculté de tisseuse tutoyait celle de la divinité. Sa vanité naturelle revenant au galop, Arachné déclara alors que ses œuvres dépassaient de loin celles de la Déesse, et qu'elle n'avait à recevoir de leçon de personne!

Sa vanité et son manque de clairvoyance allaient être sanctionnés lors du grand marché d'Ephèse, se tenant sur les quais du Port. Athéna s'y rendit sous la forme d'une vieille femme, et soumit à l'arrogante mortelle le même genre de réflexion que celle du marchand. Aveuglée par son orgueil, Arachné prétendit pouvoir défier et vaincre la Déesse dans l'art du tissage. La vieille femme lui conseilla d'être un peu plus modeste, et lui répondit : "On a tort de mépriser et de fuir les vieillards. L'expérience est le fruit des longues années. Ne rejetez pas mes conseils. Ayez, j'y consens, l'ambition d'exceller parmi les mortelles, dans votre art; mais cédez à Pallas. Invoquez l'oubli de votre orgueil téméraire, de vos superbes discours, et la déesse pourra vous pardonner". Mais la jeune fille ne tint pas compte des conseils, et se moqua même de la vieille femme en lui conseillant d'aller donner ses conseils à sa fille ou à sa bru. Alors Athéna se fit connaître et un concours eut lieu entre les deux femmes...

D'un côté, Athéna tissa une toile représentant la grandeur des douze dieux de l'Olympe avec dans les quatre coins des mortels présomptueux : Notamment le destin déplorable de la reine des Pygmées; Antigone, qui avait eu l'audace de se comparer à Junon; le malheureux Cyniras embrassant, dans les marches d'un temple, ses filles, ainsi métamorphosées par Junon. Arachné, quant à elle, osa représenter la vie scandaleuse des dieux. Son travail était superbe et obtint l'acclamation de la foule présente dans le port d'Ephèse. Même la déesse devait avouer ne découvrir aucun défaut à son travail. Irritée, elle frappa Arachné avec sa navette et mis en pièce le travail de sa rivale.

Désespérée, à l'idée d'être châtiée à nouveau par la Déesse; Arachné choisit de fuir le jugement divin et se pendit aux branches d'un arbre. Surprise par ce geste tragique, dans lequel Arachné préférait se donner la mort plutôt que de subir sa vengeance; Furieuse de la voir se dérober une nouvelle fois à sa volonté, Athéna décida de lui accorder la vie sauve. C'est ainsi qu'elle la métamorphosa en une araignée suspendue à sa toile. La soutenant en l'air, Pallas  lui annonça ce à quoi ressemblerait sa destinée : "Vis, lui dit-elle, malheureuse ! vis : mais néanmoins sois toujours suspendue. N'espère pas que ton sort puisse changer. Tu transmettras d'âge en âge ton châtiment à la postérité". Un châtiment encore pire que la mort pour la belle Lydienne, même si cette dernière n'allait pas tarder à rencontrer un allié de taille parmi les Dieux de L'Olympe.

Zeus ne tarda pas à s'émouvoir du sort réservé à la malheureuse Arachné, au point d'intervenir auprès d'Athéna. Le Dieu suprême tenta alors de convaincre la Déesse courroucée, que la punition céleste surpassait de loin la faute commise par l'humble mortelle. Etait-ce de la pitié de la part de Zeus? Des murmures venant des hauteurs du Mont d'Olympe nous enseigne tout autre chose, et notamment que le Dieu suprême ne serait pas resté insensible à la beauté de la jeune femme. C'est pourquoi, Zeus chuchota un conseil aussi opportuniste qu’avisé à l’oreille de la Déesse Athéna. Ainsi, Arachné pourrait retrouver sa forme humaine, mais chacun de ses baisers seront vénéneux pour les humbles mortels. De plus, elle devra sacrifier sa vie entière à répandre la justice des Dieux, jurant notamment obéissance à la Déesse Athéna.

De ce fait, Arachné obtint jeunesse et beauté éternelle, ainsi que le pouvoir accordé au demi-dieu. Privée d'Olympe, la belle Lydienne n'était plus que l'instrument de vengeance de la Déesse Athéna, qui lui confia la tâche de châtier les maris volages, telle une veuve noire tapît sur sa toile. Un piège de séduction qui ne laissait pas indifférent Zeus, qui espérait dans un futur proche, pouvoir jouir des charmes de cette créature maudite. Arachné, quant à elle, éprouvait le sentiment indicible de n'être qu'une marionnette ballotée par les Dieux : Interdite d'Olympe, car elle n'était pas digne d'y figurer auprès des Dieux, et dans l'incapacité de nouer un sentiment amoureux sincère avec les humbles mortels; Aussi vaniteuse et prétentieuse soit-elle, Arachné n'était plus à sa place nulle part...